31.03.2025
Marina Cornu

Quand le loup cache la forêt… et le castor

Le Conseil fédéral a modifié à plusieurs reprises l’Ordonnance fédérale sur la chasse (OChP)pour permettre plus largement les tirs « préventifs » d’espèces menacées. Il a ainsi fragilisé non seulement la protection du loup, mais aussi, plus récemment, du castor. Cette atteinte à la protection de la faune suisse suscite beaucoup de questions de la part de nos lecteurs et de nos donateurs. Sommes-nous en train de légitimer des abattages qui pourraient mener à l’extinction d’espèces essentielles à nos écosystèmes, pour protéger des intérêts purement économiques, finalement ?

En décembre 2024, le Conseil de l’Europe a décidé d’affaiblir la protection du loup dans la Convention de Berne (traité signé par la Suisse pour la conservation de la faune et de la flore européenne), en le faisant passer du statut d’espèce « strictement protégée » à celui d’espèce « protégée ». Cette décision ne repose pourtant sur aucune nouvelle connaissance scientifique et relève du simple jeu politique, fruit de la pression exercée par certains lobbies. Même avec ce déclassement, des tirs préventifs de loups ne peuvent être autorisés que pour les individus qui pourraient causer des dommages « importants ». En Suisse pourtant, la pratique actuelle consiste à supprimer un nombre inquiétant de meutes pour prévenir pratiquement tout type de dommages dès que le loup se montre trop peu farouche envers l’Homme. La méthode de régulation du loup en Suisse est donc contraire à la Convention de Berne, car les critères sont larges et vagues – même après sa récente modification concernant le statut du loup.

Erreurs de tirs en Valais : une gestion précipitée aux conséquences dramatiques

L’hiver passé, une analyse génétique dévoilée par le Blick révélait que 40% des loups abattus en Valais n’appartenaient pas aux meutes visées par les autorisations de tir. Selon le Service de la chasse, de la pêche et de la faune valaisan (SCPF), contacté par la FFW, il n’y aurait eu aucun « mauvais tir » puisqu’il n’est «pas possible de déterminer visuellement s’ils [les loups] appartiennent à la meute locale, voisine ou s’ils sont seulement de passage ». Toujours selon le SCPF, les loups peuvent « conformément à la législation, être abattus s’ils se trouvent dans les périmètres de tirs autorisés indépendamment de leur ID génétique qui n’est connue que plusieurs semaines après le tir ».

Cela signifie donc que n’importe quel loup peut être abattu pour autant qu’il se trouve dans le secteur concerné par l’autorisation. En réalité, donc, il n’est pas déterminant si le loup abattu risque de causer des dommages importants ou non – le critère est uniquement géographique. Si le loup se trouve au mauvais endroit (dans le secteur visé par l’autorisation), il peut être abattu, un point c’est tout – et les autorités estiment donc qu’il n’y a aucune « erreur », contrairement à ce que dénonçaient récemment plusieurs médias. Toujours est-il qu’il en résulte un pourcentage d’erreur considérable.

La question peut aussi se poser de savoir si la précipitation avec laquelle le Valais a habilité des chasseurs inexpérimentés à tirer le loup a pu conduire à ces tirs intempestifs de loups qui ne faisaient pas partie de meutes jugées « problématiques ». Le SCPF évite de répondre directement à la question, se référant à sa page internet intitulée « Régulation proactive du loup ». Ce site recense les loups abattus par des gardes-chasses et des chasseurs, mais il ne permet pas de vérifier si ces tirs étaient autorisés ou non. Ainsi, il est impossible de déterminer si les chasseurs novices ont éliminé davantage de loups qui ne posaient pas de problème.

Le castor, nouvelle victime de l’OChP

En Suisse, le débat autour de l’autorisation de tir préventif du loup a été si intense qu’il a éclipsé une autre modification problématique de l’Ordonnance fédérale sur la chasse (OChP) initiée par Albert Rösti : à partir du 1er février 2025, les cantons seront autorisés à abattre des castors s’ils causent des dommages importants ou mettent en danger l’homme. Face à cette situation, une pétition intitulée « Pas de tirs inutiles de castors ! » a été lancée, et est soutenue par plusieurs organisations environnementales.

Ces organisations, tout comme la Fondation Franz Weber, estiment que les conflits avec les castors ont toujours pu être résolus sans recourir à leur abattage et que ces modifications sont donc inutiles et dangereuses pour l’espèce.

Le castor, réintroduit en Suisse dans les années 1950, joue un rôle essentiel pour la biodiversité. En construisant des barrages, il crée des zones humides qui servent d’habitat à de nombreuses espèces. Bien qu’il puisse causer des dommages, notamment aux cultures et aux infrastructures, des solutions moins extrêmes ont toujours été privilégiées pour gérer les conflits « castor-humain ».

Une réflexion nécessaire sur notre rapport à la nature

Ces événements récents concernant le loup et le castor en Suisse soulèvent une question fondamentale : les animaux doivent-ils s’adapter, voire disparaître, pour faire de la place aux êtres humains, ou devons-nous plutôt nous adapter à leur présence ? L’Homme a toujours cherché à maîtriser la nature, au point de canaliser les rivières, d’assécher les marais, de construire des routes, des barrages et d’exploiter chaque centimètre carré de la terre. À cause de cela, en Suisse, 60% des insectes sont en danger et les marais, prairies sèches et zones alluviales ont reculé de 90% au cours des cent dernières années. Le castor et le loup sont des régulateurs de leur environnement qui permettent à la nature de se régénérer. Ils réparent les erreurs que nous avons commises et nous offrent une seconde chance. Ne devrions-nous pas plutôt nous demander comment leur laisser la place dont ils ont tant besoin, et qui leur revient, au lieu de les abattre dès qu’ils nous dérangent, pour des raisons politiques ou économiques ?


Tirs préventifs

Les tirs préventifs consistent à abattre un animal avant qu’il ne cause un dommage, dans le but de limiter un risque qui ne s’est pas encore réalisé. Initialement, la Loi fédérale sur la chasse (LChP) et l’ordonnance d’application de cette loi (OChP) ne prévoyaient que la possibilité de tirer les espèces protégées si elles causaient des dommages importants et avérés. La révision de l’OChP initiée par le Conseiller fédéral Albert Rösti autorise désormais des tirs préventifs de loups… et plus récemment même de castors !

 

Partager